Rien de plus agréable à l’oreille que le rythme saccadé d’un pilon dans une maison. Peut-être parce qu’il rappelle le son du tambour ou encore parce qu’il annonce à qui veut l’entendre la préparation d’un repas typique. Quel qu’en soit la vraie raison j’apprécie bien le son du pilon qui a su rythmer mon enfance.
En effet, le pilon se retrouve dans toute cuisine haïtienne digne de ce nom.
Il est un outil indispensable pour la réussite des mets Haïtiens. Nous l’utilisons pour réduire en mortier les ingrédients de notre fameux epis, marinade de base de tous nos plats locaux. Nos cuisiniers prennent ce travail manuel très au sérieux. Et dire que réduire des ingrédients au mortier n’est pas chose facile. J’en sais long. Je n’ai toujours pas la dextérité qu’il faut pour l’utiliser. Têtes d’ail, poivre en grain, gros sel, autant d’ingrédients qui trouvent toujours un moyen de s’échapper de mon pilon lorsque je tente de l’utiliser.
Vous devez certainement vous demander pourquoi cet entêtement à réduire les épices au pilon en bois. Le monde moderne nous offre des solutions bien plus simples et plus rapides. Vous n’avez pas tort, un robot culinaire pourrait faire l’affaire. Pourtant, je suis sur le point de vous contredire. Le robot culinaire ne broie pas les ingrédients de la même manière.
Sans pilon en bois, notre cuisine ne serait pas ce qu’elle est. Je ne pense pas exagérer en disant que sans le pilon en bois, notre cuisine n’aurait pas le gou lakay qui nous est si cher. J’en ai moi-même fait l’expérience lorsque je vivais à l’étranger. A l’époque, je n’avais pas de pilon. J’utilisais donc un robot. Il faisait certes l’affaire mais je recherchais toujours le goût de chez moi.
Un plat assaisonné d’un mélange d’épices réduites en mortier au pilon n’a simplement pas le même goût.
L’odeur qui émane d’un pilon n’a d’ailleurs pas de pareil. Durant le martèlement des épices, un arôme résultant du mélange d’ail, de cives, persil, piment bouc, sel, poivre, thym, – épices de base de notre cuisine, – envahit la maison de toute part qu’elle soit ouverte ou pas. C’est pourquoi je m’entêterai à dire que le goût lakay est étroitement lié à la préparation des épices au pilon. Peut-être est-ce dû à la manière de broyer les aliments, ou aux arômes qui imprègnent le pilon en bois avec le temps. Une chose est certaine, le goût n’est pas le même, l’odeur des épices non plus d’ailleurs.
Alors, pour un repas typiquement haïtien, mettez-vous au pilon. Appréciez-en le rythme saccadé qui ne sera interrompu que par la fatigue. A chacun son rythme et sa maîtrise du pilon.
Cet article a été publié pour la première fois le 9 avril 2014. La mise à jour 2020 inclut une révision du texte et de nouvelles photos.
