Petite j’étais plutôt maniaque sur les bords. Je détestais me salir les mains et évitais donc de consommer tout ce qui devait se manger avec les doigts. Avec ça, j’ai passé une bonne partie de mon enfance à éviter de nombreux aliments parmi lesquels les labapins.
Le labapin est une variété de fruit à pain, de la famille des lames veritables, plutôt connue dans les Antilles françaises sous le nom de châtaigne-pays. La partie comestible de ce fruit est un ensemble de graines brunes qui se mangent généralement bouillies – version que je préfère – ou s’ajoutent à certaines viandes qu’elles agrémentent. Ces graines se mangent en ôtant la coque externe qui les entoure et la mince membrane attachée directement au fruit, ce qui ne peut être fait qu’avec les doigts. Vous comprenez donc pourquoi j’évitais autant que possible d’en manger autrefois.
Cette répulsion pour ce fruit, je l’ai gardée jusqu’à la fin de mon adolescence.
J’avais en horreur la méthode d’épluchage. Je n’arrivais donc pas à en apprécier le goût. Je me rappelle encore une de mes amies essayant de me convaincre que les labapins valaient la peine de se salir les doigts. Mais elle, elle avait une technique unique à elle. Je la revoie ôter l’écorce des lapabins à l’aide de deux doigts de chacune de ses mains. Elle le faisait avec une telle dextérité que seul son pouce et son index en ressortaient sales.
Curieuse de la joie qu’elle mettait à manger ce fruit, je me laissai convaincre d’en goûter. Cependant, je n’en mangeais que si elle les épluchait elle-même. Contrairement à elle, je n’arrivais pas à le faire sans me salir les mains! Au fil du temps, mon goût pour les labapins s’accentua et j’en réclamais plus d’elle. Fatiguée de devoir ôter des écorces pour deux, mon amie adopta une nouvelle tactique. Elle ne m’en offrait qu’à une condition: il fallait que j’épluche moi même les lapabins que je consommais!
Ce n’est qu’alors que je me résignai à faire un effort pour abandonner mes appréhensions et me lançai à l’aventure labapin. J’appris à en apprécier le goût légèrement sucré qui rappelle un peu celui des pois chiches en conserve, et surtout à les extraire de leur coque sans trop de grimaces. Je découvris ensuite la joie de d’abord porter les labapins entiers non encore décortiqués à la bouche pour en extraire l’eau salée utilisée pour la cuisson, même si cela voulait dire que j’aurais ensuite les mains toutes pleines de salive car je n’arrivais pas à les extraire de leur coque avec la même dextérité! Le mélange de salé et sucré du lapabin était simplement trop tentant pour que je m’attarde sur ce petit détail.
Mais détrompez-vous…
…je n’ôtais les coques que si j’avais la garantie de pouvoir me laver les mains à grande eau et au savon!
Aujourd’hui, je pense avoir un peu perdu cette manie. Je ne réfléchis même plus avant de me lancer dans ce qui est devenu une course à qui mangera plus de labapins chez moi. Et quand je suis ailleurs, je ne cherche pas nécessairement à repérer eau et savon avant de passer à l’action. Les labapins en valent la peine. J’enlève les écorces avec mes cinq doigts, et même ma paume, s’il le faut.
Je n’ai pas d’autre choix en fait; à mon âge, plus personne ne me rendrait ce service comme l’a fait pendant assez longtemps mon amie. Il faudrait peut être que je la remercie de m’avoir aidée à découvrir et apprécier ce petit plaisir gourmand.
