Pen, bè, kafe, petit-déjeuner haïtien

Je pense avoir appris à apprécier le café durant mon adolescence. Avant cet âge, je me contentais d’admirer une jeune cousine lorsque j’avais l’occasion de me retrouver à son rituel du petit-déjeuner. 

Comme beaucoup d’entre vous le savent peut-être déjà, je vis dans les montagnes de Port-au-Prince, dans une région autrefois considérée comme « isolée ». Alors que nous dormions là-haut tous les soirs, notre vie trépidante se déroulait véritablement à Port-au-Prince où mes parents travaillaient et où nous allions à l’école. Nous partions de la maison très tôt le matin en semaine pour nous rendre à nos engagements respectifs. Parfois, les samedis nous ramenaient aussi au centre-ville, me conduisant souvent chez une grande tante – un lieu familier pour la famille élargie, notre pied-à-terre, notre deuxième chez nous – aux premières lueurs du jour.

Ces samedis-là, je retrouvais à coup sûr ma petite cousine installée au comptoir rose vif style vintage de la cuisine principale située à l’entrée de la maison. Son père venait de la déposer chez sa grand-mère pour la journée et elle se préparait à déguster son petit-déjeuner préféré : pen, bè, kafe – pain, beurre et café. Son couvert était mis avec une assiette et une grande tasse posée sur sa soucoupe vintage jaune-brun, un sachet de pen rale frais, un couteau à pain, un beurrier, un couteau à beurre et un sucrier.

Je bavardais debout, alors que ma cousine, toujours somnolente, coupait un morceau de pain qu’elle badigeonnait généreusement de beurre.

Elle contribuait rarement à mon monologue, trop absorbée par son premier repas. Elle remplissait toujours sa tasse géante de café au ras le bord et y ajoutait du sucre en excès. La démarcation exagérée entre le café et le sucre était toujours bien définie. 

Alors que les doux arômes de café emplissaient l’air, cette cousine trempait son pain beurré dans la tasse avant d’en prendre une bouchée. Je revois encore le bonheur qui se dessinait sur son visage à chaque bouchée. Elle répétait  avec joie ce rituel jusqu’à ce que le pain beurré ait absorbé presque tout le café.

Je ne participais jamais à sa routine matinale que je ne comprenais pas à l’époque. Chez moi, nous, les enfants, n’avions pas l’habitude de consommer de grandes quantités de café. Je suis presque certaine que nous étions limités au café au lait à ce jeune âge. Ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai vraiment compris sa joie. Elle se régalait d’un petit-déjeuner typiquement haïtien ;

Pen, bè, kafe, un petit-déjeuner qui nourrit le corps tout en dessinant un monde meilleur.

Aujourd’hui, je me laisse régulièrement tenter par ce petit-déjeuner, notamment lorsque j’ai envie de matins paisibles. Tout comme ma cousine, je remplis alors ma tasse de café auquel j’ajoute probablement beaucoup trop de sucre. Je dois vous avouer qu’à mon avis c’est là le secret de ce repas; les bouchées imprégnées de café sur lesquelles se déposent des grains de sucre non dissous n’ont pas d’égal. Lorsque je les savoure, le monde semble s’arrêter et la joie m’envahit. 

Rien ne vaut notre pen, bè, kafe national.

Celui qui s’en régale, idéalement sans être dérangé par un cousin bavard qui perturbe sa matinée tranquille, découvre un monde paisible rempli de promesses de lendemains meilleurs.