À mon réveil ce matin, ressentant l’urgence de partager encore une délicieuse anecdote avec vous, le pikliz m’est revenu à l’esprit. Sauf que cette fois, je pensais à notre pikliz traditionnel.
Et oui, je sais, mon dernier article mettait l’emphase sur ma préférence pour le pikliz à l’échalote. Mais aujourd’hui, fidèle à l’esprit de ce blog qui est d’honorer et de partager mes souvenirs gourmands à mesure qu’ils font surface, je ne peux vous refuser cette nouvelle aventure culinaire.
Pour honorer mes papilles et ma mémoire gustative, je vous parlerai donc d’un mélange qui a fait ma joie à une période clé de mon enfance : du fromage nageant dans du pikliz. Pour ce voyage à travers le temps, je vous ramènerai à l’embargo imposé à Haïti en 1994, puis je vous emmènerai sur une cour de récréation pour un aperçu de la vie d’une élève de sixième année qui, jusqu’à seize ans, dégustait encore des sandwichs à la cafétéria.
Êtes-vous prêts pour ce voyage gourmand dans le temps ?
Je n’avais que sept ou huit ans pendant l’embargo d’Haïti, pourtant certains souvenirs de cette période sont à jamais gravés dans mon esprit. Je ne saurais dire si ma mémoire ne condense pas plusieurs événements en un, mais pour moi, cette période est un mélange de présence de soldats étrangers sur le terrain, de covoiturage et… de fromage.
Les deux premiers événements étaient vite devenus monnaie courante : des soldats américains lourdement armés garaient souvent leurs chars le long du trottoir de mon école où ils se tenaient debout, et le covoiturage était le moyen par lequel de nombreuses personnes pouvaient vaquer à leurs occupations durant la rareté d’essence.
Mais puisqu’il s’agit d’un blog culinaire, tenons-nous-en à la gourmandise de cette histoire : ce fromage qui a su si bien s’allier à notre pikliz.
Voyez-vous, durant l’embargo, nous recevions, légalement ou en contrebande (je ne saurais vous le confirmer), des aliments de différentes régions. Je garde en souvenir une boîte de conserve dorée que j’associe aussi à un petit couteau coloré. Cette conserve cachait un fromage en provenance de la Hollande, si je ne me trompe, et le couteau… de notre cuisine, bien sûr.
Nous avions surnommé ce fromage “fromage sinistré”.
Après tout, il avait bien survécu à un voyage en cale. Vendues dans la rue, et donc exposées au soleil, ces conserves étaient souvent chaudes, et l’extraction du fromage, une véritable aventure à mes yeux d’enfant. Après avoir passé des heures sous le chaud soleil des Caraïbes et sans doute dans la chaleur étouffante de la cale d’un navire, la conserve avait resserré son emprise sur son contenu.
Pour extraire le fromage, il fallait donc faire preuve d’ingéniosité… ou tout simplement utiliser un bon couteau fin.
Alors que j’écris ces mots, je revois ma mère armée de son couteau qu’elle introduisait délicatement sur le pourtour de la conserve pour détacher le fromage des parois. Je n’irai pas jusqu’à prétendre que le fromage sortait d’un bloc, surtout que ce détail ne change en rien le goût de notre festin. Gros bloc ou pas, parfaitement tranché ou pas, servi en gros morceaux ou pas, ce qui compte, c’était l’aventure dans laquelle nos papilles s’embarquaient le temps de dévorer le fromage.
Nous dégustions notre tranche ou notre morceau de fromage avec notre typique pikliz de chou et de carottes.
Je n’exagérerais pas si j’affirmais qu’à l’époque, cette gourmandise était vite devenue le meilleur fromage auquel j’avais jamais goûté, autre que le tête de maure bien sûr.
L’embargo fut éventuellement levé, emportant avec lui les conserves dorées que nous convoitions tant. Cependant, le pikliz, toujours ancré dans notre culture, demeura et j’appris à le déguster avec un autre fromage en l’ajoutant aux sandwichs que nous servait la cafétéria durant les examens. Ces sandwichs ne devaient être tartinés de nul autre que d’un simple fromage La Vache Qui Rit que nous améliorons à notre façon en y ajoutant une couche généreuse de pikliz. Cette tradition de la cour de récréation perdura jusqu’à ma philo.
Cela fait maintenant des années que je n’ai pas mangé cette simple combinaison de fromage et de pikliz.
Les sandwichs de cafétéria ont laissé place à des pains plus riches comme mon fameux sandwich au griot agrémenté de pikliz. Cependant, je crois encore fermement que l’association de fromage et pikliz en vaut le coup.
P.S. Le pain baguette frais, fortement beurré, se marie également à merveille avec le pikliz.